Nous nous sommes forgés une bonne opinion sur Bitcoin, nous sommes convaincus qu’il est l’or numérique, nous observons chaque jour ses performances et relevons ses caractéristiques de monnaie ultime. Mais il nous reste un sentiment de gêne, une culpabilité entretenue par les diktats écologistes de notre monde actuel : Bitcoin consomme de l’électricité, beaucoup d’électricité.

Et donc nous le cachons peut-être un peu comme s’il était un plaisir coupable, inavouable. Mais non ! Bitcoin n’est pas un monstre, Bitcoin n’est pas une déviance. C’est même un bienfait et nous allons voir pourquoi. Nous allons nous libérer de ce complexe…

À l’origine du narratif anti-Bitcoin de ‘désastre écologique’, il y a une analyse purement quantitative de sa dépense énergétique. C’est d’emblée une mauvaise base de travail. Car – et c’est sûrement choquant de le dire ainsi – mais tous les jours, dans beaucoup d’endroits du monde, il y a une quantité phénoménale d’électricité qui est disponible et qui n’est pas exploitée. Et donc non, il ne suffit pas d’additionner des kilowatts pour obtenir la vérité. L’électricité, c’est spécial, une centrale électrique, c’est particulier et un réseau électrique, ça a ses contraintes.

Voyons cela d’un peu plus près…

La fée électricité


Instinctivement, nous voyons l’électricité comme une ressource matérielle, qui attend patiemment que nous mettions le bouton sur ‘on’ pour se déverser dans la machine. Mais l’électricité ne fonctionne pas comme cela. Elle n’est qu’une transformation temporaire, un état d’énergie, comme peuvent l’être la chaleur ou mieux, le mouvement (c’est du reste un mouvement d’électrons).

Et dans le monde entropique qui nous entoure, la chaleur et le mouvement sont des états qui ont tendance à se dissiper plus ou moins rapidement pour revenir à un niveau stable (température ambiante… arrêt…) Il ne s’agit donc pas vraiment de consommer de l’électricité, mais plutôt de la ‘capter’ au mieux, quand elle est présente.

Dès lors, de par ces caractéristiques, l’électricité est impossible à conserver telle quelle : il lui faut passer par une autre forme (chimique, mécanique…) qui nécessite des dispositifs de stockage dont le rendement est toujours médiocre. Et son transport n’est pas simple : il nécessite un matériau conducteur, qui ne l’est jamais parfaitement et ainsi oppose une résistance (le fameux effet ‘Joule’).

Ainsi, chaque changement de forme ou chaque déplacement d’électricité exigent pour eux-mêmes une partie de l’énergie. Il en résulte des pertes, parfois très grandes. C’est pour cela que les centrales électriques sont historiquement placées au plus près possible de la demande, quitte à acheminer les ressources combustibles jusqu’à elles.

Donc, lorsque l’électricité est disponible, c’est temporaire : il vaut mieux l’employer au plus près de sa source et le plus vite possible. La difficile tâche d’un gestionnaire de réseau consiste à la maintenir stable et permanente. Une tâche d’équilibriste, qui nécessite un apport continuel et des ajustements systématiques.

Un équilibre délicat


Le réseau électrique, quant à lui, est aussi un système particulier. Pour garder une stabilité en tension et en fréquence, il lui est nécessaire de posséder un surplus de production suffisamment pilotable afin d’absorber les pics de consommation à certains moments de la journée (Il lui faut s’aligner sur nos habitudes de consommation, en quelque sorte). Malheureusement, à l’inverse, une partie non négligeable des capacités productrices concernent aujourd’hui des dispositifs à grande inertie et peu pilotables, dont il n’est pas toujours possible de faire varier aussi aisément la sortie.

Que faire alors de l’électricité parfois excédentaire ?

La plupart du temps, les producteurs délestent là où ils le peuvent, ils s’en ‘débarrassent’ dans les confins du réseau interconnecté ou encore cherchent à la vendre à très bas coût à des consommateurs opportunistes. En Europe, le développement continu des réseaux électriques et leur longue utilisation ont permis de bien ajuster la capacité de production aux besoins (avec les soucis que l’on connaît dès qu’une partie de cette capacité est manquante…)

Mais ce n’est pas le cas partout.

Capacité ignorée

Observons ces pays de l’ex-bloc de l’Est, par exemple, où des plans pluriannuels avaient conduit à la réalisation de grands ouvrages d’art producteurs d’électricité, basés sur des développements de populations pour le moins optimistes… qui ne se sont jamais concrétisés.

Observons en Asie, ces véritables villes fantômes sorties de terre, avec les infrastructures prévues pour des millions d’habitants… qui finalement n’en abritent que quelques centaines de milliers. Voyons ces centrales à géothermie en Islande ou au Salvador, tirant leur capacité de production de l’inépuisable énergie des volcans.

Voyons ces grands barrages en Chine, qui tournent ‘à plein’ durant la saison des pluies (et où les mineurs de Bitcoin se livraient autrefois à une véritable transhumance en fonction de la météo). De tous ces moyens existants pour délivrer de l’électricité, combien devraient tourner en sous-régime ?

Beaucoup. Beaucoup trop.

Ah, si seulement il pouvait y avoir un consommateur opportuniste, mobile, immédiatement connectable et facilement délestable au besoin…

Chasse au gaspi

Voilà, voilà. On y arrive. Il faut comprendre ce que signifie concrètement le minage de Bitcoin aujourd’hui et quelle est la stratégie économique du mineur.

Pour miner du bitcoin, point besoin d’industrie lourde, de terrassements ou de construction d’usines. Quelques rayonnages dans un conteneur ou un préfabriqué pour des processeurs, une alimentation professionnelle, un circuit de refroidissement et de quoi accueillir une petite équipe de techniciens. Empreinte au sol négligeable, mobilité optimale par terre, mer et même air. C’est une industrie nomade. Le mineur de Bitcoin est un chasseur-cueilleur. Et il est en safari.

Sa proie ? L’électricité excédentaire, celle dont personne d’autre ne veut, car pour lui, ce sera la moins chère. Et parce que, dans son calcul de rentabilité, le coût en énergie est le poste le plus lourd, il va chercher à se placer dans des lieux où l’offre dépasse significativement la demande, ce qui va lui permettre de négocier un prix qui défie toute concurrence. Sans lui, ce serait zéro. Avec lui, c’est win-win.

Et cerise sur le gâteau, il vient au plus près, donc pas de pertes ! Il est notre consommateur opportuniste. Il vient prendre ce qui est excédentaire. Et pour une raison ‘bêtement’ économique, il ne va pas entrer en concurrence avec la demande domestique ou industrielle locale, qui est à un autre niveau de prix. Il vient ainsi recycler les surplus pour en faire quelque chose : produire du bitcoin.

Par design, c’est un écoresponsable. Lorsque l’excédent se tarit, il va tout simplement voir ailleurs. Car un ailleurs existe toujours. L’électricité est ainsi faite.

Nouvel acteur de transition


On se sent déjà mieux, n’est-ce pas ? Mais ce n’est pas encore terminé… De nos jours, la taille de certains mineurs peut les rendre parties prenantes du réseau électrique.

Et eux ont bien compris que leur activité sera pérenne s’ils s’investissent dans une utilité sociale et s’orientent vers les énergies renouvelables et le recyclage. C’est un calcul pragmatique : comme le prix des sources hydrocarbures fluctuent beaucoup sur les marchés (encore plus dernièrement…), ils les délaissent. Et alors apparaissent des nouveaux usages et des projets d’intégration étonnants.

En exemple, on peut citer la récupération du méthane de torchère. Les puits de pétrole s’accompagnent toujours de ces étroites cheminées destinées à brûler le gaz méthane emprisonné dans les couches géologiques avec le précieux liquide. On le brûle, car il n’est pas rentable de le récupérer. On le brûle pour des raisons de sécurité, mais aussi parce que c’est un gaz à effet de serre 25 fois plus dégradant que le CO2. Sauf qu’on ne le brûle jamais entièrement de cette manière. Quelques pourcents de méthane échappent à la combustion et partent dans l’atmosphère, depuis des décennies.

C’est alors que, récemment, des mineurs de Bitcoin américains ont eu l’idée de brancher des génératrices à la sortie de ces torchères et sont parvenus, non seulement à produire de l’électricité en suffisance, mais encore à brûler le méthane à 100 %, empêchant sa dispersion dans l’atmosphère.

Un autre exemple ? Le support en équilibrage de pointe : certains producteurs passent aujourd’hui des accords avec des mineurs pour qu’en cas de forte consommation du réseau, ceux-ci se déconnectent. Ils sont les seuls à pouvoir le faire, instantanément, sur simple demande. De ce fait, ils deviennent partis prenants du système de stabilisation électrique. Aux dires d’un gestionnaire américain, le minage est devenu une véritable pile économique’.

En projet d’intégration, on citera cette magnifique réalisation d’un mineur français dans le parc des Virunga au Congo, une grande région hydrographique, mais où le réseau électrique est trop peu développé et où les gens ont coutume d’employer le charbon de bois, nocif et responsable d’une grande déforestation locale. En participant à l’amélioration de barrages hydroélectriques et au développement de leur réseau, celui-ci mine du bitcoin tout en encourageant la transition de la population vers une électricité écologique.

Et après ?

L’avenir est proche où des mineurs de Bitcoin exploiteront les capacités productrices d’électricité dans des lieux peu hospitaliers. Ils construiront leurs propres centrales et, qui sait, encourageront une activité humaine dans des endroits inédits.

Par leur profil particulier, eux seuls sont capables de réaliser une telle chose. Une nouvelle économie bien réelle est en mouvement. Il est important de s’en rendre compte

En conclusion

Le minage de Bitcoin est probablement l’activité humaine qui consomme l’électricité avec le plus de discernement.

L’approche quantitative de cette consommation est, au mieux une mauvaise compréhension du domaine, au pire, une manipulation d’opinion.

Alors, posons-nous la bonne question lorsque l’on parle consommation de Bitcoin :

Au lieu de chercher ‘combien d’électricité’, demandons-nous bien plus judicieusement ‘laquelle’. Et continuons à apprécier cet objet, car il est vertueux, même dans ses dépenses…