'Heureux celui qui peut connaître l’origine des choses’
Tout commence au début des années 90 dans un laboratoire de recherche informatique américain, le Bell-Labs.
Deux ingénieurs, Stuart Haber et Scott Stornetta, se triturent les méninges pour essayer de modéliser une manière informatique de certifier des dépôts de brevets en rendant complexe leur falsification.
Ils inventent alors un procédé ingénieux : lier le certificat de brevet à une référence mathématique du certificat précédent – et ainsi de suite – de sorte que la moindre modification dans la date ou dans le texte entraîne un changement dans le certificat et provoque une rupture du lien mathématique avec ceux qui suivent, dévoilant l’imposture.
Ensuite, pour des raisons d’efficacité, ils ont l’idée de grouper les certificats par paquets (ou ‘blocs’) qui se suivent dans le temps, créant de ce fait un registre ouvert où chaque bloc représente une page.
Cette méthode constituera la base de ce que l’on appelle aujourd’hui ‘blockchain’.
Dans la toute petite bibliographie de Bitcoin (https://bitcoin.org/files/bitcoin-paper/bitcoin_fr.pdf), pas moins de trois articles renvoient à ces travaux qui datent de… trente ans !
C’est le génie de Satoshi Nakamoto : reprendre des procédés existants, comme ce registre particulier, et les combiner de manière originale pour obtenir son invention révolutionnaire.
Mais attention,
‘Beaucoup de malheur surgit par la confusion et les choses non dites’ (F. Dostoïevski)
Il est primordial de comprendre ce qu’est la blockchain – et surtout ce qu’elle n’est pas – car depuis 2015, d’aucuns entretiennent une confusion qui nous fait croire un peu tout et n’importe quoi à ce sujet.
Oui, le mot est sur les bouches des startupeurs, des institutionnels et des grands groupes jusqu’aux banques centrales, intégré dans les titres de leurs salons, mis en évidence à la moindre occasion, évidemment drapé de toutes les vertus, parfois même ouvertement en opposition à Bitcoin, un peu comme si la blockchain en était la seule et unique ‘bonne’ partie…
Oui, pour le quidam qui écoute et lit un peu sur le sujet, la blockchain semble être une technologie merveilleuse qui permet de stocker des informations de manière fiable et sécurisée.
Mais non. En vérité, le mot ‘blockchain’ n’est qu’un fourre-tout.
Il peut définir énormément de choses, allant du simple outil technique à placer au niveau du registre distribué (DLT ‘distributed ledger technology’) jusqu’à ce révolutionnaire concept de confiance concrétisé sous forme de monnaie cryptographique.
Dans ce dernier cas, c’est à l’évidence une métonymie : une figure de style qui consiste à prendre un élément particulier pour parler de quelque chose qui lui est associé.
Un peu comme si, en vous montrant une pizza, on parlait de ‘technologie tomate’…
On l’aura compris, il s’agit d’éluder le mot ‘Bitcoin’ comme s’il était tabou, pour employer en lieu et place un autre terme définissant d’une manière politiquement correcte cette révolution en cours.
De fait, plutôt que de parler de cryptomonnaie, on observe qu’il est toujours de bon ton d’employer les termes ‘technologie blockchain’.
La vraie nature de la chose
La blockchain n’est qu’un élément constitutif de Bitcoin – ou de toute cryptomonnaie fonctionnant sur les mêmes principes.
Un élément qui n’est pas en soi le plus important ni le plus révolutionnaire, mais qui, lorsqu’il est combiné à d’autres éléments (le réseau pair-à-pair, la cryptographie asymétrique, la preuve de travail) aboutit de manière prodigieuse à un mécanisme de consensus distribué.
Et c’est ce consensus qui permet d’entretenir un registre fiable, totalement décentralisé, public et sans la moindre autorité de contrôle. Fiable, inviolable, incensurable, immuable.
Ce qui est révolutionnaire, c’est donc cet agencement si original.
Sorti du contexte, il est tout à fait possible d’implémenter une blockchain qui n’est pas décentralisée, pas publiquement consultable et même unilatéralement gérée par une autorité.
Dès lors, elle demeure questionnable (les informations inscrites sont-elles correctes ?), violable (falsifier une information et refaire aisément les liens qui suivent à l’abri des regards), et censurable (décider arbitrairement des informations inscrites).
Or ainsi, même si elle est nécessaire à son fonctionnement, la blockchain n’est donc pas la technologie la plus intéressante de Bitcoin ; et c’est bien là que se situe la confusion.
L’important se trouve dans la recette, pas dans l’ingrédient.
You don’t need a blockchain for that
Ce qu’il faut en retenir, c’est que personne ne peut prendre l’unique ingrédient ‘blockchain’, le transposer ailleurs et se prévaloir des mêmes performances que celles qui sont atteintes dans la cryptomonnaie.
Et pourtant, il demeure ce discours lancinant qui tend à faire croire le contraire : qu’extraite de Bitcoin, la blockchain continuerait malgré tout de présenter son cortège de qualités et révolutionnerait tous les aspects de notre vie
… Et ainsi vendre tel projet soi-disant novateur qui révolutionnerait tel domaine. Cela peut s’avérer totalement faux.
La blockchain n’est pas la panacée. C’est un registre lourd à entretenir, pas si évident à consulter ni à partager. Et on n’a pas forcément besoin d’une blockchain, là où une base de données distribuée mise en place avec de bonnes pratiques peut suffire.
‘La mode est un langage de l’instant’ (Prada)
En fait, le registre ‘blockchain’ présente tous les signes d’un phénomène de mode, une mode qui dure. Il serait vain de le rejeter, puisqu’il est partout.
L’important est d’avoir compris ce qu’il signifie réellement afin d’évaluer ce qu’il signifie chez ceux qui l’emploient.
Séparer le bon grain...
Être confronté au mot ‘blockchain’, ça arrive de plus en plus couramment.
Voici un petit filtre bien utile pour apprécier ce dont l’interlocuteur parle :
- Est-ce décentralisé ? Dans un réseau décentralisé, il n’existe aucun moyen d’échapper aux règles clairement établies du protocole. Elles doivent être respectées par tous les participants.
- Est-ce résistant à la censure ? Ces règles doivent être appliquées de manière neutre et non manipulable, sans interférence ni possibilité de contrôle.
- Est-ce public ? L’accès à ce réseau ne doit pas faire l’objet d’autorisations, de conditions. Il doit être le même pour tous et n’avoir ni hiérarchie ni prévalence. Par ailleurs, toutes les données qui circulent doivent être vérifiables par l’entièreté des participants.
- L’objectif est-il innovant ? La solution doit apporter un changement significatif, une solution à un problème qui n’a pas encore été correctement résolu par une autre technique.
Si les réponses à ces quatre questions sont positives, alors le sujet mérite notre attention.
Sinon… c’est du ‘blockchain bullshit’ !