Qui n’évoque pas Bitcoin sans mentionner sa limite d’émission à 21 millions ? Il n’y aura jamais plus de 21 millions de bitcoins !’ nous dit-on, souvent avec emphase.

En réalité, et quel que soit l’angle sous lequel on se place, il y en aura toujours moins. Voici pour vous, chers lecteurs, quelques petites friandises sur ce sujet. Et pardon d’avance aux réfractaires, car nous ferons un peu de mathématiques. Nous allons nous pencher sur la formule la plus inspirante du code Bitcoin, celle dont l’implication monétaire déflationniste fait de son jeton un objet de plus en plus rare à mesure que le temps passe, celle surtout dont l’exécution pratique est un modèle de confiance déterministe :

Ou si vous le préférez ainsi : ‘Sigma de n’allant de 0 à 32 pour 210000 fois 50 sur 2 exposant n’

‘n’ étant le nombre de divisions par deux de la récompense pour le minage, aussi appelé ‘halving’.

21 millions: une théorie déjà éloquente


Que nous dit cette formule ? D’abord, qu’elle est assurément mathématique : elle s’applique donc de manière neutre et automatique, indépendante de l’engouement pour Bitcoin et de la valeur de son jeton, mais surtout de toute autorité qui souhaiterait en manipuler la circulation ! Elle permet une émission préprogrammée, à tout moment, prévisible et non modifiable.

En détail, elle nous explique :

  • Qu’il y aura 32 halvings au total (nous en sommes actuellement au troisième). C’est donc une formule FINIE, même si son dénouement est encore loin. (Pourquoi 32 et pas 33 ? Nous y reviendrons à la fin…)
  • Que nous commençons à 50 pour la récompense et que celle-ci est divisée par 2 exposant le numéro de halving à mesure que le temps passe (actuellement 50/2³ soit 6,25)
  • Que la période entre chaque division est de 210 000 blocs.

L’unité temporelle dans Bitcoin est exprimée en ‘bloc’. Le système se calibre et s’autorégule pour qu’un bloc soit écrit toutes les 10 minutes en moyenne (et précisément 10 minutes/bloc sur 2048 blocs). Ce n’est pas anodin : cela permet d’établir et de programmer de manière fiable un rythme régulier. 210 000×10 minutes nous donnent alors une durée calendrier d’un petit peu moins de 4 années.

Selon cette formule, le dernier bloc sera donc miné à l’issue du 32ᵉ halving, soit en 2140. Mais surtout, le calcul de cette formule démontre que le résultat N’aboutit PAS à 21 millions ; opérez-le et il ne vous retournera au final que 20 999 999,9769. C’est donc mathématique, il n’y aura JAMAIS 21 millions de bitcoins.

21 millions: une pratique subtile

Et en réalité, il y en aura encore moins. Le code de Bitcoin intègre cette formule en son sein et les mineurs doivent s’y soumettre s’ils veulent que leur bloc soit pris en compte par le réseau. Mais il y a une petite subtilité. Chaque mineur constitue lui-même son bloc en y plaçant des transactions en attente ET en ajoutant une transaction qui mentionne sa possible récompense, la fameuse ‘coinbase’.

Ensuite, il se lance dans la fastidieuse tentative de résolution d’une image réciproque de hashage pour son bloc, en espérant être le premier à trouver la solution. Si c’est le cas, son bloc sera placé à la suite de la blockchain, rendra sa coinbase légitime aux yeux du réseau et lui octroiera réellement les nouveaux bitcoins en récompense… Sauf qu’il n’est pas obligé de réclamer l’entièreté de la récompense

De fait, si techniquement un bloc est d’office rejeté lorsque sa coinbase indique une récompense plus élevée, il ne l’est pas lorsque celle-ci est inférieure au nombre attendu. Il sera bel et bien accepté. Folie ! Direz-vous. Accomplir un travail pour une récompense délibérément réduite… Qui ferait cela ? Figurez-vous que c’est déjà arrivé : au bloc n°124723, miné le 18 mai 2011, un mineur inconnu s’est octroyé une récompense de 49,99 bitcoins au lieu de 50. Expérimentation ? Geste militant ? Allez savoir. Mais le fait est que, dès lors, le nombre final de bitcoins réellement émis sera encore inférieur à ce que la formule a prévu.

Remarque : il existe un autre cas, plus subtil, où le mineur a délibérément détruit les frais de transactions dans son bloc. Mais cela nous éloigne du sujet…

21 millions: une philosophie du désir


La beauté de cette formule, c’est son caractère asymptotique : comprenez une progression géométrique qui démarre très fort, accélère très fort pour ensuite ralentir tout aussi fort et finir sur une montée de plus en plus lente, presque plate. Visuellement, cette courbe évoque ‘ Γ ‘, le gamma majuscule de l’alphabet grec.

Qu’en déduire ? Que malgré une trajectoire qui nous mène jusqu’en 2140, le nombre de bitcoins actuellement minés est déjà important par rapport au nombre final. Au moment d’écrire ces lignes, il existe plus de 19300000 bitcoins émis sur la blockchain, soit presque 92 % du total.

Cette loi de distribution a permis la mise à disposition très rapide d’une grande majorité des jetons, la réalisation d’un (cyber) espace économique dédié, la gratification de l’intérêt accordé par les premiers adoptants. Et vu le succès, une incitation extrêmement forte à s’impliquer pour essayer d’obtenir les derniers – qui seront distillés de plus en plus lentement.

C’est une idée de génie, quasiment machiavélique : il y avait beaucoup de bitcoins à obtenir au début, quand ils valaient très peu, et moins, terriblement moins, à mesure que le temps passe et qu’ils valent de plus en plus. Ce qui alimente à la fois leur rareté, mais aussi leur désirabilité.

Perdus corps et âmes

Ajoutons enfin les bitcoins dont les clés privées furent perdues. Ils sont estimés à 20 %, principalement oubliés pendant les premières années où la plupart furent traités avec nonchalance. Un cinquième ! Ce n’est pas rien…Il y a aussi les bitcoins minés par Satoshi lui-même et qui n’ont pas bougé depuis fin 2011, depuis qu’il a cessé de communiquer. Ils sont plus d’un million. Tous ces bitcoins demeurent bien présents dans la blockchain, mais sont irrécupérables, plus jamais transférables, comme ‘figés’. La sécurité cryptographique est à ce prix.

Sont-ils devenus inutiles au système ? Pas complètement, car leur perte a entraîné une sorte de concentration de valeur vers les 80 % restants, par un procédé que nous pourrions considérer proche de la déflation. Finalement, nous obtenons le nombre de bitcoins en circulation et transférables – ‘utilisables’ dirons-nous : 17 millions, au doigt mouillé. Est-ce un problème d’avoir si peu d’unités monétaires ? Non, car en vérité, il y en a beaucoup plus. Une centaine de millions de fois plus.

Satoshi est innombrable


Car un bitcoin, ça n’existe pas. Vous ne trouverez nulle part, dans le code ou dans le système, une chose telle qu’elle se nomme ‘bitcoin’. Vous ne trouverez que des Satoshi. En réalité, tout se compte et s’échange en Satoshi dans ce réseau. Et le Satoshi, c’est la plus petite unité du système, mais c’est aussi LA SEULE UNITÉ QUI EXISTE RÉELLEMENT dans le protocole.

À partir de lui, tout n’est qu’une question de table de conversion. Un bitcoin, c’est cent millions de Satoshi. Un millibitcoin, c’est cent mille Satoshi. Etc. Pour des raisons pratiques, on a longtemps compté en bitcoin et on le fait encore. Mais qui sait, un jour, tout le monde comptera en Satoshi…

En attendant, le nombre réel d’unités monétaires du système s’élève alors – toujours au doigt mouillé – à 1700 000 000 000 000 de Satoshi. Il y a donc largement de quoi faire jusqu’en 2140 !

… Et pourquoi n’y a-t-il que trente-deux halvings dans la formule mathématique ? Parce qu’un trente-troisième ferait en sorte que la récompense se fractionne SOUS le Satoshi, ce qui n’est pas possible. En conclusion, nous en conviendrons, il se cache bien des choses insoupçonnées sous ce ‘21 millions’ !