Bitcoin : une nouvelle ère pour la crypto ?

Le 27 juillet 2024, Donald Trump a livré un discours retentissant lors de la Bitcoin Conference à Nashville, Tennessee. Autrefois pourfendeur radical de Bitcoin, l’ex-président américain a soudainement adopté une posture nettement plus favorable, promettant de faire des États-Unis la capitale mondiale des cryptomonnaies s’il est réélu en novembre. Ce changement de cap n’est pas sans conséquences majeures pour l’économie, la politique et les marchés financiers, tant aux États-Unis qu’en Europe. Plongeons dans les enjeux et les implications de cette volte-face spectaculaire.

En 2019, Donald Trump ne mâchait pas ses mots pour qualifier le Bitcoin de « fraude » et d’ « escroquerie menaçant le dollar américain ». Mais lors de son discours à Nashville, Trump a révisé son jugement, comparant désormais le Bitcoin à « l’industrie de l’acier d’il y a 100 ans ». Il s’est même engagé à transformer les États-Unis en « la superpuissance mondiale de Bitcoin »​.

L’annonce la plus marquante de Trump a été sa proposition de créer une réserve stratégique nationale de bitcoins. Il envisage d’accumuler jusqu’à 5% du total des bitcoins en circulation, conférant ainsi un nouvel élan de crédibilité à la crypto. Ce revirement soulève des questions sur les motivations réelles de l’ancien président. D’autant plus qu’il suscite d’ores et déjà un mouvement similaire dans d’autres pays à l’image de Hong Kong.

Trump a également promis de mettre fin à la « guerre des progressistes » contre les cryptos et de lever les restrictions imposées par l’opération « Choke Point 2.0 » , offensive frontale des acteurs institutionnels américains contre BTC et consorts. Il a annoncé la création d’un conseil présidentiel consultatif sur le Bitcoin pour établir une réglementation favorable sous 100 jours et a juré de licencier Gary Gensler, le président de la SEC, considéré comme un adversaire des cryptoactifs.

Dans son élan, le candidat Trump a annoncé l’abandon du projet de dollar numérique (CBDC) ainsi que la grâce présidentielle pour Ross Ulbricht, créateur de Silk Road – une plateforme illégale de vente de drogues – qui a écopé en 2015 de deux condamnations à la prison à perpétuité.

Le discours de Trump a eu un effet immédiat sur le marché des cryptomonnaies. Le cours du Bitcoin a atteint un niveau proche de son record (70 000 dollars) le 29 juillet, figurant ainsi l’optimisme du secteur face aux promesses de dérégulation et de soutien gouvernemental.

Cela étant dit, la création d’un environnement réglementaire favorable pourrait stimuler l’innovation et l’investissement dans le secteur crypto aux États-Unis qui pourrait se traduire par :

• Une augmentation des investissements en capital-risque dans les startups blockchain
• Le développement de nouveaux produits financiers basés sur les cryptomonnaies
• L’adoption accrue des cryptomonnaies par les entreprises traditionnelles

A noter qu’une dérégulation excessive pourrait aussi augmenter les risques pour les investisseurs et la stabilité financière globale.

Quant à la proposition de Trump de créer une réserve stratégique nationale de bitcoins, celle-ci aurait des implications profondes sur la politique monétaire américaine :

• Diversification des réserves : l’ajout de bitcoins aux réserves nationales marquerait un changement de taille dans la gestion des actifs de l’État.
• Impact sur le dollar par la légitimation d’une alternative décentralisée.
• Inflation et politique de la Fed : la détention de bitcoins par le gouvernement pourrait-elle influencer les décisions de la Réserve fédérale en matière de politique monétaire (notamment concernant l’inflation)?
• La volatilité des réserves comme conséquence mécanique de la forte volatilité du Bitcoin pourrait introduire une instabilité dans la valeur des réserves nationales.

Alexandre Stachtchenko souligne que si Trump est élu et respecte ses promesses, « la première puissance mondiale devrait commencer à accumuler des bitcoins jusqu’à atteindre 5% du total en circulation ». Une telle décision aurait des répercussions majeures sur l’économie mondiale.

Opération séduction donc pour Donald Trump à l’égard d’un nouvel électorat, notamment dans la Silicon Valley et parmi les jeunes investisseurs. Environ 1 électeur sur 5 serait concerné par le sujet des cryptomonnaies, ce qui en fait un enjeu non négligeable pour la campagne présidentielle.

Les démocrates se trouveraient ils ainsi forcés de clarifier leur position sur le sujet. Comme le note Stachtchenko, « il force les démocrates, et la nouvelle candidate Kamala Harris, à prendre position sur le sujet ».

Bitcoin devient de ce fait un enjeu de compétition géopolitique. En déclarant que « si nous n’adoptons pas la crypto et la technologie bitcoin, la Chine le fera », Trump fait de cette technologie un élément de la rivalité sino-américaine.

Faut-il craindre un effet boule de neige de la position de Trump parmi d’autres pays? Si Hong Kong laisse entendre que l’île pourrait bien emboîter le pas des Etats-Unis dans cette stratégie, fera-t-elle pour autant beaucoup d’émules?

Le soutien de Trump aux cryptomonnaies, en particulier aux stablecoins adossés au dollar, pourrait constituer une menace sérieuse pour la souveraineté monétaire de l’Europe :

• Dominance du dollar : les stablecoins en dollars représentent déjà 90% des échanges de cryptomonnaies, contre seulement 1,1% pour ceux adossés à l’euro. Une adoption accrue pourrait renforcer cette domination.
• Affaiblissement de l’euro dans les transactions internationales due à une utilisation massive de stablecoins en dollars.
• Politique monétaire : La BCE pourrait voir son influence sur la politique monétaire diminuer si une part significative des transactions en Europe se faisait en stablecoins dollar.
• Projet de l’euro numérique : Les plans de la BCE pour un euro numérique pourraient être compromis face à une adoption rapide des stablecoins américains.

Karell Lannoo, chef du Center for European Policy Studies interrogé par Politico affirme que : « Si le facteur Trump conduit à un nouveau boom du marché crypto, cela verra aussi plus de stablecoins dans l’UE, et ces stablecoins sont principalement adossés au dollar ».

Ainsi le discours de Trump pourrait déclencher une course de petits chevaux mondiale générant des réactions institutionnelles et étatiques en chaîne, une compétition réglementaire afin d’attirer les entreprises et les investissements du secteur crypto, une accélération projets de monnaies numériques (CBDC) par les banques centrales en réponse à cette menace ainsi que de nouveaux alignements géopolitiques autour de l’adoption ou de la résistance aux cryptomonnaies.

Par ailleurs, le revirement américain serait source de complications dans la mise en place de réglementations internationales sur les cryptomonnaies. En effet, une approche pro-crypto des États-Unis pourrait créer un fossé réglementaire avec l’Europe, qui a adopté une approche plus prudente avec le règlement MiCA. De même, la coordination internationale sur la régulation des cryptomonnaies pourrait devenir plus difficile si les États-Unis adoptent une position radicalement différente et du même fait, les régulateurs européens pourraient faire face à une pression accrue pour assouplir leurs règles afin de rester compétitifs.

Judith Arnal, analyste à l’Institut royal Elcano de Madrid, souligne que même le règlement MiCA ne pourrait pas empêcher l’utilisation d’un « stablecoin super intéressant » ciblant les citoyens de l’UE.

A l’égard du reste du monde, l’adoption massive des cryptomonnaies pourrait avoir des conséquences particulières pour les pays émergents :

• Dollarisation crypto : les pays à monnaie faible pourraient voir leur population se tourner massivement vers les stablecoins en dollars, accentuant la dollarisation de leur économie.
• Remises de fonds : les transferts d’argent internationaux pourraient être facilités par les cryptoactifs, impactant significativement les économies dépendantes des remises de fonds.
• Inclusion financière : les cryptos pourraient offrir des services financiers à des populations non bancarisées, mais aussi exposer des populations vulnérables à des risques financiers accrus.

Manifestement, le discours de Trump a séduit une partie de la Silicon Valley, traditionnellement démocrate. En effet, : des figures comme Elon Musk, David Sacks, cofondateur de PayPal, ou Marc Andreessen, cofondateur de Netscape, ont affiché leur soutien à Trump sur cette question]. Ce ralliement opportun(iste?) s’explique en partie par le mécontentement face à la politique de régulation des géants du numérique menée par l’administration Biden. Et il faut bien le dire, l’air du temps change. Si les figures pro-démocrates et donc pro-Biden restent majoritaires dans la Silicon Valley, à l’image de Reid Hoffman, le fondateur de LinkedIn, ou de Sheryl Sandberg, la numéro 2 de Facebook, une source anonyme New York Post affirme que « la stigmatisation est en train de disparaître » concernant le soutien à Trump dans la Silicon Valley.

Face à ce revirement, les démocrates tentent de s’adapter : Kamala Harris, la candidate démocrate tente de se positionner en faveur d’un « cadre réglementaire intelligent » pour les cryptomonnaies. La pression interne au parti démocrate est certaine. Ainsi, une quinzaine de parlementaires démocrates a écrit à Kamala Harris pour lui demander de changer de posture sur Bitcoin. Pour ne pas perdre le combat sur ce ring, les démocrates doivent trouver un équilibre entre la régulation nécessaire et le soutien à l’innovation pour ne pas perdre le vote des partisans des cryptomonnaies.

Malgré l’enthousiasme de certains, des voix s’élèvent pour appeler à la prudence. A l’image d’Edward Snowden a appelé à « voter, mais à ne pas rejoindre une secte », mettant en garde contre une politisation excessive du sujet Bitcoin. Certains économistes s’inquiètent des conséquences potentielles d’une adoption massive des cryptomonnaies sur la stabilité du système financier stigmatisant le manque de nuance de Trump et sa compréhension superficielle du sujet, comme le souligne Alexandre Stachtchenko. Enfin – et fatalement – certains observateurs doutent de la capacité ou de la volonté réelle de Trump de mettre en œuvre ces promesses s’il était élu.