Chaque jour, des milliers de personnes cèdent à la tentation d’un investissement en cryptomonnaies attirées par la promesse d’un rendement rapide et d’une indépendance financière. Mais derrière les interfaces soignées, les chats d’assistance courtois et les logos faussement rassurants, les escroqueries continuent de prospérer. Dans un article consacré aux statistiques de la fraude aux cryptos de juin 2025, Coinlaw.io estime qu’en 2024, plus de 420 000 victimes ont été recensées dans le monde, pour un total estimé à 14 milliards de dollars envolés (selon le rapport Crypto Crime Trends 2025 de Chainalysis). Rien qu’en Europe, plus de 3 600 plateformes frauduleuses ont été détectées par les équipes de cybersécurité de Unit 42 (Palo Alto Networks), souvent actives seulement quelques semaines avant de disparaître.
L’arnaque à la crypto monnaie a muté : plus technique, plus crédible, plus proche des codes de la finance légitime. Et malgré les opérations de police, elle ne ralentit pas.
L’Europe frappe fort, mais le phénomène s’étend
Un réseau transnational de 600 millions d’euros
Début novembre 2025, Eurojust et Europol ont démantelé un réseau d’escroqueries crypto d’une ampleur inédite : neuf personnes arrêtées, 600 millions € volés, des plateformes frauduleuses disséminées sur plusieurs pays européens. Le réseau, coordonné depuis Chypre et l’Espagne, opérait à travers de faux sites d’investissement, promettant des profits “sans risque” et un accompagnement personnalisé. Les victimes – des retraités belges, des ingénieurs allemands, des clients français – voyaient leurs fonds disparaître après quelques jours, leurs “portefeuilles” en ligne n’étant qu’une simulation.
L’enquête a permis d’identifier plusieurs sites impliqués :
Quantum AI – un prétendu service de “trading quantique” soutenu par de faux témoignages d’Elon Musk, interdit par la FCA (Royaume-Uni) et l’AMF.
Immediate Bitcoin et Bit2Bit – des plateformes non enregistrées, opérant depuis l’Europe de l’Est, utilisées pour blanchir les actifs.
FinexTrader – citée dans plusieurs plaintes pour escroquerie en France, inscrite sur la liste noire de l’AMF depuis 2024.
Ces sites ont en commun un haut degré de professionnalisation : pages traduites en plusieurs langues, tableaux de performance fictifs, conseillers parlant un français impeccable.
Des précédents connus
Ruja Ignatova, alias “Cryptoqueen”, avait déjà donné la mesure du phénomène avec OneCoin, un schéma pyramidal qui a fait disparaître plus de 4 milliards de dollars dans 175 pays. Autre cas : Faruk Fatih Özer, fondateur de la plateforme Thodex, condamné en Turquie à plus de 11 000 ans de prison pour avoir détourné 2 milliards USD auprès de 390 000 investisseurs. Celui-ci a d’ailleurs été retrouvé mort dans sa cellule le 2 novembre dernier; la piste du suicide reste privilégiée selon les autorités turques.
Ces figures montrent que l’arnaque à la crypto monnaie ne relève pas de petits malfrats isolés, mais d’un système mondialisé, nourri par la crédulité et la vitesse d’internet.
Anatomie d’une arnaque moderne
L’appât : promesse de rendements et faux vernis de légitimité
Les campagnes partent de publicités ciblées, de messageries et de réseaux sociaux (parfois via de faux articles, des deepfakes de célébrités ou du démarchage d’un « conseiller »). Objectif : pousser vers un site d’investissement qui imite à la perfection un exchange régulé (mentions légales copiées, logo, numéro d’enregistrement usurpé). Les chercheurs de Unit 42 ont documenté en 2025 une campagne distribuant des milliers de plateformes d’investissement crypto frauduleuses, servies par des sites web et des applis mobiles dédiées — on parle d’industrialisation, pas de bricolage.
Côté Europe, les cas recensés confirment l’échelle : outre l’opération conjointement menée récemment par Eurojust et Europol, un précédent avait été démantelé par Europol un peu plus tôt en Espagne : 5 000 victimes et environ 460 M€ blanchis, avec une infrastructure bancaire et corporate multi-pays (comptes, passerelles de paiements, comptes d’échange sous d’autres noms).
La cage dorée : tableau de bord truqué et « gains » fantômes
Une fois inscrit, l’utilisateur accède à un « compte » impeccable : courbes qui montent, positions « gagnantes », faux relevés PDF. Cette simulation sert à déclencher un second dépôt « pour débloquer les bénéfices » ou « pour couvrir des frais ». C’est un pattern classique relevé par les autorités européennes dans les opérations d’octobre 2025 : les retraits sont ensuite bloqués, et toute demande d’argent supplémentaire est un prétexte pour prolonger l’escroquerie. Eurojust
En France, l’AMF détaille ces signaux d’alerte (promesse de rendements garantis, urgence, interlocuteur « pressant », mentions légales floues) et renvoie à ses listes noires qui recensent les sites non autorisés.
Les réseaux sociaux ont leur part dans la diffusion de ces manœuvres: sur Facebook, Instagram ou TikTok, des publicités prospèrent malgré les signalements. En 2025, Meta a supprimé plus de 7 000 comptes liés à des campagnes d’escroquerie crypto, mais les fraudeurs réapparaissent aussitôt sous d’autres noms. Les arnaques “au conseiller” ou “à la célébrité” demeurent les plus rentables : faux articles sponsorisés, usurpation d’experts, promesses d’accès privilégié à des produits “pré-IPO”.
Le verrou : KYC/taxes inventés, support intrusif, transfert "de secours"
Une fois les dépôts collectés, l’argent passe entre plusieurs comptes bancaires, plateformes d’échange et sociétés écrans. L’enquête Eurojust a révélé une chaîne de plus de 250 wallets utilisés pour convertir les crypto-actifs en stablecoins, puis en espèces via des distributeurs automatiques installés à Chypre et à Dubaï. Les fraudeurs utilisent des services offshore, souvent hors du champ de MiCA, pour effacer la trace des fonds.
Quand la victime veut récupérer ses fonds, viennent les frais inventés : « taxe à régler », « KYC payant », « assurance de déblocage ». Si elle hésite, un « support » propose d’installer un outil d’accès à distance — à proscrire — pour « aider à valider le retrait ». Ces tactiques apparaissent dans les dossiers d’investissement frauduleux traités par les autorités européennes et dans les guides d’alerte de l’AMF.
Aux États-Unis, le FBI/IC3 qualifie ce continuum (social + financier) de cryptocurrency investment fraud : en 2024, ces fraudes ont causé > 6,5 Mds $ de pertes déclarées (avec environ 48 000 plaintes pour la catégorie crypto), ce qui en fait la fraude d’investissement la plus coûteuse, un ordre de grandeur solide même si ce sont des plaintes US.
Le blanchiment : wallets en série, stablecoins, cash-out multi-juridictions
Les fonds ne restent jamais en place : conversion rapide en stablecoins, chain-hopping entre wallets, mélanges avec des flux légitimes, puis cash-out via passerelles bancaires et distributeurs (parfois ATMs) dans des juridictions plus souples. Dans l’opération espagnole (Europol, juin 2025), les enquêteurs décrivent une toile d’acolytes et une infrastructure corporate en Asie (Hong Kong), complétée par des gateways de paiement et des comptes multi-échanges pour déplacer/stocker l’argent. Eurojust souligne aussi la synchronisation nécessaire (perquisitions, gels, saisies) pour figer une partie des actifs avant leur dispersion, le coût/temps d’intervention étant une variable critique.
Une régulation qui se durcit : l’Europe muscle enfin sa défense
MiCA, AMLA et la fin du « Far West » réglementaire
Après des années de débats, l’Union européenne a enfin posé un cadre structurant : le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets), entré progressivement en vigueur en 2025, fait désormais figure de socle commun pour l’ensemble des services sur actifs numériques. Il impose à tout acteur proposant de l’émission, de la garde, ou de l’échange de cryptomonnaies d’obtenir un agrément unique reconnu dans les 27 États membres. Ce cadre vise à garantir la transparence, la protection des clients et la stabilité financière. MiCA ne se limite pas à encadrer les émetteurs : il réglemente aussi la publicité, les exigences de fonds propres et la gestion des conflits d’intérêts. En cas de manquement, les sanctions peuvent atteindre 5 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise.
En parallèle, le paquet anti-blanchiment (AMLR) renforce la traçabilité des flux crypto. L’un de ses piliers, la règle de voyage (Travel Rule), rend désormais obligatoire la transmission des informations d’origine et de destination pour tout transfert de crypto-actifs supérieur à 1 000 €. Pour superviser ce dispositif, Bruxelles a créé une nouvelle entité : l’Autorité européenne de lutte contre le blanchiment (AMLA), dont le siège est installé à Francfort. Elle commencera ses activités opérationnelles en 2026 et sera dotée de 400 agents.
Selon Europol, plus de 10 % des signalements transmis par les cellules de renseignement financier en 2024 concernaient des flux liés à des crypto-actifs, un volume en hausse de 32 % sur un an. Cette montée en puissance réglementaire traduit une conviction : la lutte contre la fraude et le blanchiment crypto ne peut être efficace qu’à l’échelle continentale.
En France, la régulation prend une dimension opérationnelle
L’AMF sur tous les fronts
L’AMF publie chaque trimestre sa liste noire : plus de 270 sites non autorisés y figuraient en octobre 2025 dont plusieurs imitant des institutions légitimes comme Binance ou Coinbase.
L’AMF a également signé en 2024 un protocole de coopération renforcée avec la DGCCRF, afin de mieux coordonner les enquêtes sur les publicités trompeuses en ligne. Résultat : plus de 1 500 contenus sponsorisés sur Facebook, Instagram et TikTok ont été signalés ou retirés depuis le début de l’année 2025.
L’ACPR et la Gendarmerie numérique : l’arsenal national
Adossée à la Banque de France, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) cible de son côté les prestataires bancaires impliqués dans la circulation de fonds douteux. Elle coopère désormais avec le ComCyberGend (Commandement de la Gendarmerie dans le cyberespace) et le dispositif Thésée, la plateforme nationale de plainte en ligne dédiée aux arnaques financières.
Ce portail centralisé, ouvert à tout public, a reçu plus de 55 000 signalements en 2024, dont environ 12 % liés à des crypto-actifs selon les statistiques communiquées par le ministère de l’Intérieur. La France est également l’un des premiers pays à imposer le statut PSAN renforcé : depuis janvier 2024, les prestataires doivent satisfaire des obligations plus strictes de gouvernance, d’assurance et de contrôle des flux.
Les limites : la vitesse de la fraude, talon d’Achille du droit
Malgré ces progrès, la régulation reste en décalage temporel avec les escroqueries. Les plateformes frauduleuses se créent et disparaissent souvent en moins de trois mois, moins de temps qu’il n’en faut pour que les autorités les détectent, les listent, puis obtiennent un retrait ou un blocage. En 2025, l’AMF a estimé qu’environ 70 % des sites frauduleux actifs sur le sol français changeaient d’URL ou de structure d’hébergement moins de 45 jours après leur signalement.
Autre frein : la dispersion juridique. Si MiCA uniformise les règles, l’application pénale reste nationale : un site hébergé en Asie ou dans les Balkans échappe souvent à la compétence directe des régulateurs européens. D’où la nécessité de renforcer la coopération entre les services publics, les banques, les prestataires crypto et les utilisateurs eux-mêmes, véritables premières sentinelles du système.
Conclusion : une guerre de vitesse, pas seulement de loi
La lutte contre l’arnaque à la crypto monnaie entre dans une nouvelle phase : celle du réalisme. Les autorités européennes ont compris qu’il ne suffisait plus d’ajouter des listes noires pour endiguer des fraudeurs qui changent d’adresse en quelques semaines. Avec MiCA, AMLR et la création de l’AMLA, l’Europe pose enfin les bases d’un écosystème plus sûr, où les plateformes devront prouver leur conformité avant de séduire les investisseurs. Mais la technologie avance plus vite que le droit. Les escroqueries s’automatisent, les publicités ciblées s’appuient sur l’IA générative, et les schémas de blanchiment passent désormais par des milliers de micro-transactions invisibles aux systèmes bancaires traditionnels.
Face à cette course, la régulation ne peut pas tout : elle fixe les règles, mais ne remplace ni la vigilance ni le discernement. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon Europol, plus de 1 000 fraudeurs liés à des escroqueries crypto ont été arrêtés en Europe depuis 2023 — mais les pertes mondiales dépassent encore 14 milliards de dollars par an. La disproportion entre l’ampleur du crime et la capacité de réponse reste abyssale.
C’est pourquoi l’avenir du secteur dépend autant des institutions que des citoyens. Investir en crypto n’est pas un pari interdit, mais une pratique exigeante : comprendre les actifs, identifier les signaux d’alerte, vérifier les autorisations avant d’agir. Le progrès réglementaire ne protège que ceux qui s’en servent. Et dans un univers où la confiance est la première monnaie, la prudence demeure le meilleur rendement.
FAQ - Arnaque à la crypto monnaie : comment se protéger ?
Comment vérifier qu’une plateforme crypto est fiable avant d’investir ?
Avant tout investissement, consultez la liste blanche des PSAN agréés publiée par l’AMF. Si la plateforme ou le site n’y figure pas, c’est un signal d’alerte immédiat.
Évitez aussi les prestataires enregistrés hors de l’Union européenne sans autorisation locale : les recours sont quasi impossibles en cas de litige.
Quels sont les signaux d’alerte typiques d’une arnaque à la crypto monnaie ?
Promesse de rendements garantis ou fixes.
Mise en avant d’une célébrité ou d’un “expert” sans source vérifiable.
Absence de mentions légales, de siège social ou d’équipe identifiable.
Communication insistante ou appels répétés (“dernière opportunité”).
Aucun projet crypto sérieux ne promet de gains assurés. L’AMF et la DGCCRF rappellent que la pression à investir rapidement est souvent la première étape d’une escroquerie.
Que faire si j’ai transféré de l’argent à une plateforme suspecte ?
Agissez immédiatement :
Stoppez les virements et informez votre banque.
Sauvegardez toutes les informations : e-mails, adresses de wallets, historique de transactions.
Déposez une plainte en ligne sur la plateforme Thésée ou directement en commissariat.
Contactez un avocat spécialisé si le montant en jeu est important.
Selon Europol, plus la réaction intervient tôt, plus la probabilité de récupération partielle des fonds augmente.
Les cryptomonnaies sont-elles vraiment anonymes ?
Non. Environ 90 % des transactions sont effectuées sur des blockchains publiques comme Bitcoin ou Ethereum, où les flux sont traçables.
Des entreprises comme Chainalysis, Elliptic ou TRM Labs travaillent déjà avec les autorités pour suivre les mouvements de fonds suspects.
Seules certaines cryptos orientées “confidentialité” (ex. Monero, Zcash) complexifient les enquêtes, sans pour autant garantir l’impunité.
Les arnaques concernent-elles surtout les débutants ?
cPas du tout. Les fraudeurs ciblent aussi des investisseurs expérimentés, parfois des entreprises ou des professionnels du droit.
Les plateformes frauduleuses comme Quantum AI ou Immediate Bitcoin ont été conçues avec un degré de réalisme élevé, parfois supérieur à celui de prestataires régulés.
La vigilance ne dépend pas du niveau de connaissance, mais de la rigueur des vérifications effectuées.
Les autorités peuvent-elles vraiment agir contre les escroqueries crypto ?
ui, même si la réponse n’est pas instantanée.
En 2025, plus de 1 000 fraudeurs liés à des escroqueries crypto ont été arrêtés en Europe selon Europol.
L’AMF publie régulièrement de nouvelles listes noires, et l’ACPR peut bloquer les comptes bancaires liés à des plateformes suspectes.
L’Union européenne a mis en place un cadre unique (MiCA, AMLR) et une autorité dédiée (AMLA) pour accélérer la lutte contre le blanchiment.
Mais la meilleure défense reste individuelle : vérifier, douter, signaler.